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Publié par René Mettey

Note générale : 4,5 étoiles sur 5. Étude historique : 5/5; étude psychologique et sociologique 5/5; valeur artistique 5/5; note passion : 3,5/5.

Un film sur l'affaire Dreyfus : on pouvait s'attendre au pire ! Le pôv' juif victime de l'antisémitisme forcené de la société et surtout de la militaire; les généraux bornés; l'honneur militaire bafoué sauvé in extremis par l'action "suicidaire"de Picquart et le suicide réel de Henry, ne supportant pas la honte de son attitude.

Eh bien non ! c'était sans compter sur le talent majeur de créateur de Polanski, qui va éviter pathos et dénonciations !

Pour commencer en coup de maître, il centre son action sur Picquart, et non sur Dreyfus, quasiment hors-jeu. (Jean Dujardin et Louis Garel sont magistraux dans leurs interprétations respectives). Seul ce qu'il a souffert est magistralement filmé dans la scène de la dégradation. Cela suffit.

Ce film est une analyse minutieuse de la société de l'époque, et de toutes les époques : les doutes d'un officier pour qui l'Armée est tout, sur la conduite à tenir quand accomplir son devoir risque de le desservir. Dreyfus, un officier injustement malmené par ses supérieurs jusqu'à souhaiter sa mort et tenter de la provoquer (ceci a été bien mis en évidence dans le téléfilm "Les secrets de l'Histoire") et qui clame encore et toujours son amour de l'Armée ! L'antisémitisme ? de Picquart en particulier ? "Comme tout le monde à l'époque" ose un critique. La shoah n'avait pas encore eu lieu !

Dreyfus  : "à vous dégoûter de défendre un innocent" se serait exclamé Zola devant la passivité du capitaine. Les côtés "énervants" du personnage sont évoqués en demi-teinte par Polansky : la récrimination quand son professeur à l'école de guerre, Picquart, ne l'a pas noté au niveau de ce qu'il pensait valoir, prenant le prétexte de l'antisémitisme; et sa récrimination encore quand il revendique un grade plus élevé que commandant à ce même Picquart, devenu général et ministre. Il est relevé que le pôv' juif a des revenus quatre fois supérieurs à son traitement -écartant par là la motivation à la trahison-.

Picquart, torturé entre son désir de respecter son devoir fondamental, innocenter un condamné, et la perspective de voir sa carrière brisée, voire de se faire éliminer dans une mission suicide. 

Henry, s'il se suicide, c'est certes à cause d'une honte sourde, mais aussi parce qu'il est "un crétin" comme le dit au début le général qui nomme Picquart à sa place.

Tous les personnages sont en demi-teinte, on est loin des criminels et des chevaliers blancs.

Il n'y a que les généraux qui sont sans nuances tous dépeints en êtres bornés, lâches, inintelligents, voire criminels. Seul Picquart, devenu lui-même général et même ministre de la guerre, les réhabilitent ? et donc ceux qui l'ont finalement nommés ?

Quant à Esterhazy, le personnage subit de manière inappropriée la caractérisation en noir et blanc ! le traître absolu : y compris dans l'aspect physique, représenté chétif et colérique alors qu'il était un brin enveloppé de par son bon appétit !

Pour le personnage joué par Emmanuelle Seigner, malgré sa bonne prestation lui valant un prix, il obéit à la règle syndicale d'un rôle féminin obligatoire...

Ce film est aussi une étude "universitaire" et technique de l'affaire ! Seuls les initiés comprendront l'importance de la note renseignant l'ennemi sur le frein hydrolique du canon de 120, alors que c'est sur le canon de 75 que travaillait l'armée, et subodoreront que l'état-major intoxiquait les Allemands. Seuls ils comprendront l'importance de la scène où ce prototype du 75 avec recul absorbé par ce frein est exposé à l'état-major (cf mon article à venir sur "la vraie affaire Dreyfus, première guerre des polices"). Un critique a pu se gausser de la reconstitution minutieuse des uniformes. Justement on doit saluer la justesse de tous les détails. Un seul bémol : un officier de rang supérieur à un autre ne lui donne pas du "mon" ! À un capitaine, un lieutenant dit "mon capitaine", un général "capitaine" !

Pour finir, le versant artistique de ce film est une merveille. L'utilisation des couleurs, et à l'inverse des clair-obscur, des fondus-enchaînés, des mouvements, révèlent une maîtrise parfaite.

Si j'ai mis une appréciation mitigée sur l'émotion, c'est qu'à force d'être si parfait sur tous ces plans, parfois on se laisse envahir par une certaine torpeur... Un nu féminin, même avec quelques erreurs anatomiques, émeut, une dissection, non !

NB : Roman Polanski fait l'objet actuellement d'accusations graves. Curieusement ces accusations, refoulées pendant 40 ans, sont formulées juste avant la sortie de cette oeuvre. Elles sont peut-être réelles, les antécédents de l'artiste ne plaidant pas pour lui.

Mais si on juge l'homme,  s'il est un délinquant, il doit être jugé comme tel, quels que soient ses talents de créateur. Si on jauge le créateur, il doit être jaugé comme tel, quel que soient ses actes profanes, sans que ceux-ci n'interfèrent dans ce jugement.

Ce jour 3 mars, , Mathieu Laine, dans le Figaro, rédige une chronique illustrant mes dires plus brillamment que je ne le fais, appelant à la rescousse Proust et son "Contre Sainte- Beuve. Il titre :

 La distinction classique entre l’homme et l’œuvre doit continuer à prévaloir en matière d’art, sans préjuger de l’éventuelle culpabilité pénale de l’intéressé qu’il appartient à la seule justice d’apprécier.

mais conclut justement :

Si l’on peut, parce qu’elle est « le produit d’un autre moi  », saluer et récompenser y compris l’œuvre d’un salaud, celle-ci ne peut pour autant absoudre l’homme de ses crimes .

Et un commentateur, Wortstein, rajoute judicieusement :

Remarquable papier de Laine. L'autre moi, l'alter ego clivé parait bien à l'oeuvre dans les turpitudes de Polanski. Il est à noter que rien dans son oeuvre ne témoigne d'une quelconque apologie du viol ou de la pédophilie. On ne peut pas dire la même chose du longtemps loué Matzneff.

Pour moi, la messe est dite ! (quoi que, s'agissant de Polanski...)

 

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L
Très beau commentaire du film et de la controverse. Cela m'a rappelé mon père discutant sur Brasillach, qui, au contraire de Polanski, a mélangé œuvre littéraire et vie politique, mon père qui ajoutait "on n'aurait jamais du le fusiller", alors que lui-même avait eu à souffrir des dénonciations de la collaboration...
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