LES ENIGMES DE LA CONSCIENCE. 02. Définitions de la conscience.
Cet ouvrage est paru fin juillet sous le titre "Les énigmes de la conscience" (Éditons Frison-Roche, Paris). C'est pourquoi vous ne trouverez ici que des extraits significatifs, mais aussi la dernière version augmentée de mises à jour (en caractères bleus).
IV. LA CONSCIENCE : DÉFINITION (S !)
Curieuse chose que la conscience, qui tire d’elle-même sa propre définition !
Si l’on synthétise les philosophes et scientifiques spécialistes de la cognition ou de la neuropsychologie, et quelle qu'en soit la formulation, s’impose la définition : « être conscient, c’est se rendre compte que l’on existe ». Mais si l’on demande aux lexicographes : « qu’est-ce que se rendre compte ? ». La réponse arrive d’elle-même : « c’est être conscient ».
Pascal fait la même remarque à propos de « l’Être » : « curieux concept que celui de l’être, qui se définit par lui-même ! En effet toute définition commence explicitement ou implicitement par la proposition « c’est… » ». Et la conscience étant le fait d’avoir la connaissance de son être… [Voir annexe XI : "L'être et la conscience"]
En somme, actualisant Pascal, on constate ainsi que la définition de la conscience est "autoréférentielle" et, comme l’a démontré Gödel, mathématicien et logicien de génie, tout système autoréférentiel est "indécidable ".*
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Ayant le plus grand mal à définir la conscience, ou en en constatant l’impossibilité, beaucoup de ceux qui écrivent sur le sujet préfèrent donner des définitions d’autres états psychiques, ou de mécanismes neurologiques contemporains de la conscience, feignant de croire, ou espérant, que le lecteur ne s’en rendra pas compte. C’est le lot commun de quasiment tous les auteurs modernes. Ou alors, honnêtes, certains avouent n’étudier que les mécanismes mentaux, mais espèrent secrètement que le lecteur en arrivera à conclure que ces mécanismes sont la conscience, à la suite d’un raisonnement que l’on appelle en logique un « non sequitur* ».
*Le "non sequitur" ("cela n'en découle pas") : faute de raisonnement dans lequel une conclusion ne découle pas des propositions de départ, même si apparemment elle semble en découler. C'est l'erreur la plus fréquente que l'on trouve chez les scientifiques ! On la retrouvera souvent. Les études scientifiques devraient comporter un vaste programme de philosophie et de logique. On en trouve une trace aux USA, où l'on persiste à donner le grade de "philosophy doctor" à un "scientist".
D’autres font des raisonnements circulaires, ou géographiques.
Beaucoup, usant de leur renom, donnent des "définitions d'autorité".
Enfin, agissant avec superbe d’autres prouvent, déterminent, définissent, analysent et localisent la conscience, comme ils le font de l’existence ou de la nature de Dieu, en lui donnant arbitrairement la définition qui leur plaît. Cette définition aura d’autant plus de chance « de passer » que le coup sera hardi, et la conclusion séduisante.
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N.B. Dans cet ouvrage, le terme "conscience" définit un état cognitif (consciousness en anglais, Bewusstsein ou Bewusstheit en allemand) et non un sens moral (conscience en anglais, Gewissen en allemand).
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*Le problème du rêve.
Les dernières conceptions du rêve résoudraient le problème de ce curieux état de conscience : le rêve, malgré notre ressenti lors de l'éveil, ne dure pas longtemps. Il est extrêmement court et c'est notre mémoire qui "l'étire" a posteriori. Ainsi une action ressentie de dizaines de minutes, voire d'une heure, ne dure qu'un quart de secondes ! L'ensemble du rêve est une construction d'un scénario pendant le réveil. Tout un chacun a pu faire un rêve dans lequel il est poursuivi par des individus hostiles qui le pourchassent et tirent un coup de feu. Mais ce qui a mis fin au rêve se révèle être un bruit soudain (coup dans le plafond ...). À moins de supputations ésotériques, on ne peut penser que le cerveau, dans une prémonition, a échafaudé tout un scénario pour que le coup de feu coïncide exactement avec le bruit extérieur soudain ! Il nous arrive de nous réveiller une minute avant la sonnerie du réveil, de nous rendormir, de faire un rêve "d'une demi-heure", et d'être ramené à la conscience par cette sonnerie une minute après !
On a longtemps tenu pour certain que la durée du sommeil paradoxal était le temps des rêves, sur l'argument que lorsqu'on éveille un sujet pendant ce temps, il affirme avoir été en train de rêver. En fait les études électrophysiologiques actuelles mettent en doute ce rapport sommeil paradoxal-rêve. Si un sujet prétendait rêver pendant ce sommeil, c'est que tout réveil brusque entraîne la constitution d'un scénario de rêve, quel que soit le stade de sommeil.
Ainsi, le rêve ne serait pas "une forme de conscience" pendant le sommeil (Searle) mais la reprise de conscience lors du réveil brusque. Le problème est réglé... mais ne résout pas la forme géographique de la définition !
Par ailleurs, la conscience est un écran de cinéma qui peut être regardé des deux côtés : l'endroit, celui du côté du projecteur, et l’envers où on voit le même film, simplement symétrique par rapport à un plan : les droitiers deviennent gauchers, les automobiles roulent à gauche etc. Mais le haut reste en haut, le temps ne passe pas à l’envers ! Quelqu’un qui n’aurait jamais vu de films que de ce côté ne pourrait deviner qu’il le voit de manière inversée : les gauchers existent, et dans bien des pays les automobiles roulent à gauche !
Ainsi la conscience peut percevoir une image et une histoire du côté de l’issue des nerfs périphériques, après passage par les aires projectives et associatives, ET AUSSI par projection à partir de l’imagination ou des aires du souvenir. C’est exactement ce qui se passe pendant le rêve, et les hallucinations !
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Enfin, plutôt que d'avouer qu'on ne peut définir ni appréhender la conscience, d'autres chercheurs tentent une démarche analogue au raisonnement par l'absurde en mathématique[25] : 1/ la méthode contrastive du psychologue Bernard Baars, Institut des neurosciences de La Jola, Californie. Il s'agit d'étudier et déterminer, dans des situations proches, tout ce qui n'est pas conscience, le reste étant... conscience. 2/ La méthode des corrélats neuronaux, de Francis Crick et Christophe Koch, est identique, mais se réduit, logiquement, à repérer les structures et mécanismes neuronaux qui sous-tendent les situations dites conscientes.
Dans le premier cas, on reconnaîtra sous une forme à peine différente la définition géographique de John R. Searle, dans le second, une étude des phénomènes neuronaux accompagnant la conscience, mais dans aucun des deux cas, ce n'est une définition*.
[Ces approches sont explicitées par Sid Kouider, ENS de Paris, "La conscience, dans une impasse ?" Cerveau & Psycho avril 2013, n°56, p.39-40. Il note d'ailleurs : « cette approche évite d'avoir à définir la conscience : elle se contente de la caractériser en délimitant ce qui lui est propre de ce qui est propre à une activité mentale non consciente »].
*D'ailleurs Crick est décédé en 2004 sans avoir poursuivi dans cette voie, et Koch "à la surprise générale" a annoncé "qu'il renonçait à cette approche, lui reprochant d'être intrinsèquement incapable d'expliquer comment des neurones peuvent donner naissance à l'expérience subjective" [Sid Kouider, op. cit. p.43-44].
Devant ces impossibilités de définir la conscience, on ne peut que conclure :
La définition de la conscience ne peut être qu’axiomatique:
La conscience ne se définit pas, ne se démontre pas, elle s'éprouve.
Il reste alors à aller à la recherche de cet état subjectif et individuel, "nouménal". On peut tenter d'en cerner les conditions d'existence, si celles-ci pouvaient nous mener au terme de cette quête. On peut énoncer :
-La conscience n'est pas distincte même du corps organique; *Constatations, qui restent à prouver objectivement.
Lire la suite :
http://www.rene-mettey.fr/pages/LE_CHAMP_DE_CONSCIENCE_3_Localisation_de_la_conscience-9007292.html
[1] Dictionnaire le Robert, en cinq volumes. Paris, 2005.
[2] La Recherche, 1996, n°287 p.62
[3] Et dès 1979 dans l'original en anglais.
[4] et pourquoi ne pas l'admettre ?
[5] il y a ici confusion entre âme et conscience, vide infra.
[6] c'est un a priori ou une pétition de principe, attitude bien peu scientifique.
[7] on en revient à une définition géographique !
[8] attitude antispiritualiste a priori, donc pas scientifique, mais polémique.
[9] l'auteur prescient -il l'incongruité de sa démarche ?
[10] démonstration SVP ?
[11] Il s’agit là d’un fondement du fonctionnement de l’esprit humain, et très archaïque. Dans l’antiquité, connaître le nom de quelque entité que ce soit, c’est avoir pouvoir sur elle. Ainsi Yahvé demande à Adam de nommer les animaux et toutes choses, afin qu’il en soit le maître, mais Il ne révèle pas son nom ! À Moïse, il se contentera de justifier son existence « Je suis celui qui suis ». Le grand prêtre, paraît-il, connaissait le nom divin, et il ne lui était permis de ne le prononcer qu’une fois par an, pénétrant seul dans le Saint des Saints ! Jésus donne la prière universelle à ses disciples, commençant par « Que ton nom soit sanctifié ». En magie théurgique, connaître et appeler les anges, archanges, démons par leur nom permet de leur commander.
[12] PLoS One, 2013, vol. 8, e53053
[13] Cerveau & Psycho, mars-avril 2013, n°56, p. 5
[14] Libet, B., Gleason, C.A., Wright, E.W. & Pearl, D.K. ‘Time of conscious intention to act in relation to onset of cerebral activity (readiness-potential). The unconscious initiation of a freely voluntary act’, Brain (1983) 106: 623- 642.
[15] 300 millisecondes exactement, dans les deux cas.
[16] Plutôt "Décisions". NDR.
[17] Le Point, 12 juillet 2007, p. 73.
[18] Bien entendu, j'élimine le sens de cet anglicisme grotesque, simple décalque du terme anglais intelligence, qui en fait un synonyme d'espionnage.
[19] Pour ma part, et je le conseille, avant de plonger un crustacé, homard ou langouste, dans l'eau bouillante, je donne un coup de couteau entre les deux os pariétaux, détruisant le cerveau.... et je n'en commande jamais au restaurant...
[20] Tachymètre a plus belle allure que "compteur de vitesse", non ? tachyon que vélociton ?
[21] Si vous souffrez d'anémie hypochrome, "c'est classe" ! Mais d'anémie ferriprive, "c'est peuple". Mais on peut se racheter : "anémie par carence martiale". Il s'agit dans les trois cas de la même affection ! Le langage scientifique, que l'on pourrait croire objectif, reste toujours connecté à des non-dits subjectifs. D'autres exemples suivront dans cet ouvrage.
[22] « Si c'est la raison qui fait l'homme, c'est le sentiment qui le conduit ». Jean-Jacques Rousseau.
[23] Par une belle définition circulaire ! Car qu'est-ce que se connaître, se voir dans son unité et ses détails, dire virtuellement je et être présence à soi ? C'est avoir la conscience !
[24] On remarquera que cette définition pro-domo par l'échange mutuel d'informations rejoint la définition de Jean-Pierre Changeux...
[25] Rappelons qu'un tel raisonnement consiste à déterminer plusieurs propositions de résolutions d'un problème. Ne pouvant prouver directement la véracité d'une proposition, il suffit de montrer que toutes les autres sont fausses. Donc cette première est juste. Mais il faut : 1/déterminer que seules les solutions proposées sont possibles, qu'il ne peut y en avoir d'autres; 2/que la ,proposition à démontrer n'est pas non plus fausse, mais seulement impossible à démontrer directement. 1 et 2 "se résument mathématiquement à dire que toutes les propositions établies forment une partition de l'univers des possibles". Or, dans le cas de la conscience, ces deux conditions ne sont pas réunies !