Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Pages

 

 

L’ESPRIT DU BUSHIDO

 

(RECUEIL)

 

 

1/ L’esprit du Bushido

 2/ Guilty or not guilty

3/ Ifigenia (Iphigénie) (nouvelle en vers de mirmidons)

 

 

    N.B. : Une de ces nouvelles avec d'autres, sont disponibles en e-book et livre imprimés, par Bloggingbooks, commandable sur Amazon et autres sites.  

Titre : "Le cheval O'Kroa O'Kandana"   

 

 

 

 

L'ESPRIT DU BUSHIDO*

 

 

 

Robert, tempes argentées, la cinquantaine peut-être, en tout cas mal conservée, rides déjà profondes aux joues, les conjonctives jaunâtres de l'homme qui doit aimer le mauvais whisky, était au volant.

Gilles, tempes argentées, la cinquantaine bien conservée, brushing, peut-être même fond de teint, genre "jogging-squash–vitamines-anti-oxydants", deux verres de rouge, pas un de moins mais pas un de plus, par jour (ça protège des maladies du coeur), était à l'arrière de la somptueuse limousine (de location), sur le strapontin, lui tournant le dos mais à droite pour le surveiller du coin de l'œil.

Sur la banquette, en rang d'oignon, trois Japonais. L'un carrure de sumo-tori, écrasant les deux autres, type samouraï en costume trois pièces, riant poliment, pas d'âge, comme tous les Asiatiques. Riant poliment mais jaune car ils avaient remarqué le manège: Gilles leur faisant face mais de trois quarts, pour glisser de temps  à autre un mot au chauffeur. Même s'ils ne comprenaient que l'anglais, ils intégraient très bien que Gilles devait dire à Robert des choses comme : "moins vite!", "tiens ta droite", "tiens, tu l'a passé à l'orange sanguine"... Ça ne les rassurait pas: samouraïs, mais pas kamikazes! Certes, mourir pour la plus grande gloire de Moshiba et, à travers la Firme, pour celle du Japon, d'accord, mais encore fallait-il rester vivant pour rapporter le contrat au pays!

Enfin la limousine s'arrêta devant chez Taxime, tout en cognant le trottoir du pneu avant. Heureusement que les chasseurs s'étaient précipités pour ouvrir les portes, devançant ainsi le chauffeur qui avait les plus grandes peines à s'extraire de la voiture.

Mais les trois Nippons n'en étaient pas au bout de leurs surprises en arrivant à la table que Gilles avait réservée: cinq couverts! Ils se regardèrent: non, ce n'était ni pour l'épouse de Gilles, il était divorcé et celle-ci vivait aux États-Unis (le rapport d'enquête des espions industriels avait détaillé toute la vie de l'homme avec qui ils étaient venus discuter), ni pour une éventuelle "escort girl" que le PDG français aurait invitée, non, pour ... mais oui, pour le chauffeur qui arrivait d'une démarche mal assurée, claudicant.

Gilles s'en expliqua** : "comme vous le voyez, Messieurs, notre entreprise applique depuis toujours l'égalité de traitement entre tous les employés, du chauffeur au PDG, prenant exemple sur les entreprises du Soleil Levant. Robert, mon chauffeur personnel, et un peu aussi homme de confiance (nous ne disons plus factotum), dînera donc avec nous, mais soyez sans crainte, il ne participera pas à la conversation, car il ne parle que le français."

Les Japonais se regardèrent, semblant tout à la fois flattés de cet hommage au génie nippon de l'entreprise, et réprobateurs.

"J'espère qu'il ne va pas trop boire et vomir, il m'a l'air déjà mal en point, dit le sumo-tori aux samouraïs.

-Certes, répondit le premier samouraï, nous ne faisons pas de différence dans nos entreprises, honorable directeur-adjoint fondé de pouvoir, mais au moins choisissons-nous mieux nos employés!

-Qu'importe, dit l'autre samouraï, nous ne sommes pas ici pour juger de la pertinence de ses embauches, mais pour négocier l'achat de ses éléments électroniques, et ses amplificateurs stéréos sont actuellement les meilleurs du monde.

-Certes, mais j'ai peu confiance en un PDG qui garde un ivrogne comme chauffeur! Si tous ses employés sont aussi bien adaptés à leur poste que celui-ci, que penser du sérieux du travail accompli, honorable sous-directeur adjoint chargé des contrats!"

Ils inclinèrent tous la tête l'un vers l'autre et se retournèrent vers Gilles.

Le repas pouvait commencer.

 

Ils attendirent un instant que Gilles fasse mine de s'asseoir, Gilles attendait que l'un d'entre eux commence le mouvement, mais c'est Robert qui les tira d'embarras en s'asseyant le premier, ignorant tout protocole.

Le "chef" du Taxime, le sommelier, les chefs de rang, avertis par Gilles de l'importance de ce repas pour l'avenir de son entreprise, car le contrat n'était pas gagné d'avance, se surpassèrent. Les Japonais connurent les délices de la cuisine et des vins français. Le repas allait être gastronomique, l'addition allait être astronomique, ainsi que les pourboires, mais cela faisait partie de l'investissement. Gilles se morfondait: il fabriquait les meilleurs amplificateurs acoustiques du monde, mais les Américains en proposaient de presque aussi bons pour deux fois moins cher; les Japonais proposaient d'acquérir seulement les plans et de fabriquer les éléments eux-mêmes; ils pouvaient aussi en quelques mois développer leurs propres amplis! Il fallait emporter ici et maintenant ce marché, sinon la firme de Gilles continuerait à vivoter de sa "french touch": produits de qualité extrême, mais vendus à quelques "happy few" fortunés, ce qui ne fait pas vivre son monde.

Le repas fut sans fausse note, si ce n'est que le chauffeur ne put se retenir de se mêler à la conversation, malgré sa méconnaissance de l'anglais et du japonais, demandant "qu'est-ce qu'y dit?" à répétition, puis, voyant qu'il irritait son patron et les hommes d'affaires, interrompant le fil de la conversation en interpellant les serveurs ou le sommelier à tout instant.

Le repas terminé, Gilles raccompagna les hommes d'affaires à leur hôtel. Alors que Robert, qui avait abusé des excellents vins de chez Taxime, et qui s'était fait servir un vieux marc hors d'âge après le café, voulut s'installer au volant, Gilles le poussa sur le siège de droite et, faussement joyeux, jeta aux Japonais : "j'adore conduire, je prends le volant!"

Dans le hall, le PDG sortit de son attaché-case une liasse de feuillets dactylographiés, matérialisant leur contrat, qu'il tendit au sumo-tori. "Voilà, messieurs, vous avez encore le loisir de le relire ce soir dans vos chambres. Pour ma part, je l'ai déjà signé. Demain matin, je ne pourrai venir le chercher moi-même, car je dois prendre l'avion tôt pour Berlin, où une marque de chaîne haute fidélité semble aussi intéressée par mes amplificateurs. Mais, n'ayez crainte, je vous donne la priorité: mon fondé de pouvoir, Monsieur Jacques Domini, viendra vous prendre ici pour vous emmener à l'aéroport. Vous pourrez lui remettre le contrat, paraphé ou pas, et il me téléphonera lorsque je me poserai à Berlin.

"C'est que... nous sommes très intéressés par votre offre, Monsieur le Président-directeur-général, mais nous aimerions bien en rendre compte à notre conseil d'administration à Kyoto avant de nous engager.

-aucun problème: rien ne dit que je vais à Berlin pour signer tout de suite, et même en cas d'offre intéressante des Allemands, je peux aussi réserver ma décision".

Les Nippons se détendirent. Ouf, pensa Gilles, je leur ai évité de perdre la face. Il ne faut pas leur mettre le couteau sous la gorge. Les Asiatiques n'apprécient pas ce genre d'ultimatum, mais je devais forcer leur décision.

Ils se saluèrent mutuellement et chacun regagna ses pénates.

 

Au matin, Jacques, fondé de pouvoir et ami de longue date de Gilles, accompagné d'un jeune homme, pénétra dans le hall de l'hôtel où les trois hommes d'affaires l'attendaient déjà, manteaux enfilés, écharpes mises, bagages aux pieds. Ils faisaient grises mines.

"Bonjour Messieurs, je vous présente le fils de mon PDG, qui est étudiant en sciences économiques et commence à s'initier aux affaires."

Après un temps de silence où ils paraissaient gênés, les Japonais se mirent à parler à tour de rôle, se relayant.

"Nous sommes très admiratifs sur la qualité des produits de votre firme

-très

-nous voulons croire

-nous aimerions croire

-que la qualité des composants restera la même

-ou, excusez-nous si nous vous vexons un tant soit peu, que votre entreprise pourra nous fournir en temps prévu et en quantité prévue les pièces demandées...

-nous sommes une importante firme, produisant beaucoup, devant faire face à de nombreux engagements et à une concurrence dure..."

"Je comprends l'importance de votre engagement et j'apprécie vos scrupules, mais je saisis mal ce qui vous préoccupe".

Les Japonais se tortillaient sur place.

"Ne croyez pas cela, honorable fondé de pouvoir...

-nous avons visité vos installations, vu travailler vos ingénieurs, vos techniciens..."

"Je crois deviner. Ne serait-ce pas le fait que notre PDG emploie un chauffeur et homme de confiance à la conduite... disons pas toujours irréprochable, qui vous ferait douter du sérieux de notre maison?"

Les Japonais n'osaient répondre, mais Jacques fit mine de croire que là était le problème.

"Me ferez-vous la grâce, Messieurs, de vous asseoir dans ce salon, de dénouer vos écharpes et desserrer vos manteaux, nous avons notre temps, votre avion ne part que dans deux heures et l'aéroport est à dix minutes, et de m'écouter un instant?"

Ils acceptèrent.

            <<Vous n'êtes pas sans savoir, Messieurs, qu'il y a trente-cinq ans environ, le peuple d'Algérie, alors colonie française, entreprit une guerre âpre pour obtenir son indépendance. Ce fut une guerre terrible, mais ce fut une guerre d'hommes, de samouraïs oserais-je dire (les Japonais se regardèrent, sourire aux lèvres, c'était la seconde fois depuis leur arrivée qu'ils se sentaient flattés dans leur orgueil national). On ne pratiqua pas les bombardements de masse de la deuxième guerre mondiale, ni les frappes électroniques de missiles de croisière, non, la plupart du temps on se battit au corps à corps, ou du moins voyait-on l'homme sur qui on tirait; on croisait souvent le regard de celui qu'on allait tuer ou qui allait vous tuer. Il n'y eut pas de grandes batailles stratégiques, mais des actions sur le terrain de quelques dizaines d'hommes contre quelques dizaines, des embuscades, des mechtas à prendre d'assaut, des pitons à défendre.

Notre PDG actuel, Gilles, venait de terminer ses études d'électronique et fut appelé à l'armée, son diplôme supérieur lui valut le galon d'aspirant. On lui confia une section dans laquelle se trouvait Robert, gamin des boulevards, du même âge. Ils se prirent d'affection l'un pour l'autre, malgré leur différence de milieu social et de culture.

Un jour, ayant quitté lors d'une patrouille le camion blindé qui les transportait pour s'aventurer à découvert, les hommes du peloton de tête essuyèrent le feu d'une mitrailleuse cachée dans l'ouverture d'une grotte d'un éperon rocheux. Un soldat tomba, tué net; Gilles s'effondra, le genou touché. N'avez-vous pas remarqué qu'il boitille légèrement? (Les Nippons se concertèrent et hochèrent la tête). Ils étaient en terrain découvert, pas un arbre, pas un fourré, seuls quelques rochers et des anfractuosités dans lesquelles ils se terrèrent. Dans cette situation, ils étaient protégés et pouvaient même repousser un assaut. Mais que faire? La nuit allait tomber, ils ne pouvaient rester là: les "rebelles" algériens, certainement tapis dans les environs, viendraient dans l'obscurité les attaquer, et ils ne faisaient pas de prisonniers. Sortir de leurs trous pour fuir les exposerait au tir, c'était aller à une mort certaine. Attaquer l'éperon: impossible, il était trop escarpé.

Gilles réfléchit. Il voyait son sang couler peu à peu, malgré le garrot mis en place. D'un ton décidé, il commanda: "Sergent,, donnez-moi votre fusil mitrailleur, je vais ouvrir le feu d'ici sur la grotte pour occuper les tireurs. Vous autres, profitez-en pour décamper, rejoignez le camion blindé et filez!

-et vous, mon lieutenant? s'exclamerent les soldats.

-moi quoi? vous me voyez courir avec ma patte cassée et qui pisse le sang?

-on ne vous laissera pas! ils vont vous tuer!

-de toute façon c'est cuit pour moi. Essayez de joindre les hélicoptères par la radio restée dans le half-track, qu'ils viennent à ma rescousse avant la nuit".

Les soldats se turent, ils savaient que ceci était illusoire. Ils s'apprêtèrent à obéir, se sentant vaguement honteux,..

"Prêts? Allez-y!"

Gilles se pencha hors du trou et commença le tir, les soldats, emmenés par le sergent, se replièrent vers le camion.

Rapidement, Gilles avait épuisé son premier chargeur. Il s'apprêtait à se retourner pour en saisir un autre dans une musette, quand il vit une main lui en tendre un. C'était Robert qui, refusant de partir avec les autres hommes, avait sauté dans son trou.

Pendant une heure ils tirèrent sans répit, Robert tendant les chargeurs, Gilles faisant feu sans relâche, pendant que le soleil baissait sur l'horizon. Ils s'apprêtaient à mourir ensemble, sans s'être dit un mot. Mais du lointain monta un vrombissement qui s'amplifia: des hélicoptères, partis à la recherche de ce peloton perdu, guidés par la fumée des tirs, venaient les sauver!>>

 

Les trois Japonais avaient tenté de garder leur impassibilité pendant ce récit, mais leurs yeux embués et leurs faces cramoisies montraient qu'ils avaient goûté au plus haut point cette histoire empreinte de l'esprit du Bushido.

<<Vous comprendrez, Messieurs, qu'une fois démobilisé, Gilles, qui fonda une entreprise d'électronique, engagea Robert et le garde depuis contre vents et marées, malgré ses défauts, qui n'ont fait qu'augmenter avec le temps!>>

Les trois hommes d'affaire se regardèrent. Sans qu'aucun signe ne semblât avoir été échangé entre eux, le samouraï sous-directeur-adjoint chargé des contrats ouvrit son attaché-case, en tira une liasse de feuillets, les tendit au sumo-tori directeur-adjoint fondé de pouvoir. Celui-ci sortit son stylo-plume et parapha vigoureusement les feuillets un par un.

Il les tendit à Jacques. "J'espère que ce premier contrat sera le prémisse d'une fructueuse collaboration entre nos firmes" dit-il en s'inclinant. "Pouvez-vous maintenant nous emmener à l'aéroport? Mais... c'est vous qui conduirez!"

L'avion de la Japan Airlines décollait, Jacques et le fils de Gilles le regardèrent s'élever vers le ciel.

"Elle est véridique cette histoire de dévouement en Algérie? Curieusement, mon père ne m'en a jamais parlé... et s'il boitille, c'est à la suite d'une chute de cheval au polo.

-Oui, je peux en témoigner, puisque j'y étais, c'est moi le sergent dont il est question. Mais... quand je la raconte, je change juste un détail.

-Lequel?

-C'est Robert qui avait reçu la balle dans le genou, et Gilles qui était resté de son plein grès dans le trou.

-Mais c'est un mensonge! et vous retirez la gloire de mon père en l'inversant ainsi!

-Qu'importe! C'est ton père lui-même qui le veut. Si tu savais combien de contrats cette histoire nous a fait emporter ! On peut dire que l’acier qui est toujours resté dans le genou de Robert, pour nous, c’est de l’or !"

 

*Cette nouvelle a été nominée finaliste du concours de nouvelle du conseil général du Var

**On fera grâce au lecteur des dialogues en anglais et japonais, avec traduction en notes de bas de page, en les produisant directement en français.

 

 

 

 

Guilty or not guilty.

 

<< Madame la Présidente, messieurs les Assesseurs, Mesdames et Messieurs les Jurés.

Mon réquisitoire sera court, tellement les faits parlent d'eux-mêmes, les faits, rien que les faits, et aussi les rapports de police, d'expertise et les témoignages, tous concordants.

L'accusé est coupable. Comment pourrait-il le nier? Et d'ailleurs il ne le nie pas, il s'est contenté tout au long de  l'instruction et de ce procès d'observer le mutisme le plus complet, sur la demande  de son avocat, qui est resté tout autant muet!

 

Toutes ces données conduisent au mobile et à la connaissance de l'action.

 

Je serai donc bref:

Les prostituées du quartier de Pigalle à Clichy connaissent toutes l'accusé, elles se souviennent toutes l'avoir eu soit comme client, renfrogné et complexé, soit comme harceleur, quémandeur à moindre coût quand il était en fin de mois, d'un peu de "tendresse", pleurnicheur, parfois un peu agressif et menaçant. Et le crime a eu lieu un trente novembre!

Elles, et les multiples propriétaires de bar, et les policiers de surveillance,  se rappellent tous l'avoir vu parcourir sans fin les rues et ruelles de ce quartier qu'il connaissait donc bien.

Ce garçon a un petit métier, lui permettant tout juste de vivre. Les experts psychiatres l'on décrit comme à la limite de la débilité mentale, introverti, solitaire, timide.

 

Venons-en au jour du crime.

Il est minuit, il fait sombre dans la ruelle du drame. Des témoins, touristes en promenade, entendent des cris de femmes venant de cette ruelle. Ils accourent, et voient une forme humaine à terre, ensanglantée, un homme, que tous ont identifié comme l'accusé, penché sur elle, tenant quelque chose. Ils guident des policiers qui eux aussi avaient entendu les cris.

A l'arrivée de ces derniers dans la ruelle, l'accusé se relève, retire un couteau de la poitrine de la jeune femme, et s'enfuit. Un des policiers arrive au niveau de la victime, qui agonise, reconnaît Gisèle Halifax, une prostituée habituée des lieux. Elle agonise mais a le temps de dire dans un dernier souffle : "Riquet!". L'autre se lance à la poursuite du tueur, qui saute un muret et se retrouve dans un terrain vague assombrit et peut s'enfuir. Avant cependant il le voit jeter le poignard dans un trou remplit d'eau boueuse et le récupère en plongeant la main. Ce poignard a été saisi et analysé, et il ne porte que les empreintes du fameux "Riquet".

Sachant tous qu'une mèche rebelle avait fait surnommer par les habitués du lieu l'accusé "Riquet à la houppe" ils ont beau jeu alors de se rendre au domicile de celui-ci et de l'arrêter.

 

Il n'avouera jamais, retranché dans une dénégation permanente et butée, et n'a pu  fournir aucun alibi.

 

La culpabilité ne fait aucun doute: un jeune homme quasi retardé mental, au désert affectif, trouvant seulement auprès des prostituées un peu de tendresse et d'amours tarifées. Un jour, à cours d'argent, il quémande quelques gestes tendres, la jeune prostituée refuse, il la tue de manière compulsive!

Je devrais requérir trente ans de réclusion criminelle; mais, puisque son avocat est toujours resté coi, c'est moi qui attirerai l'attention du jury sur les circonstances atténuantes, et demande vingt ans de détention avec peine incompressible des deux tiers>>.

Le procureur regarda l'assemblée d'un coup d'œil circulaire, heureux de son effet, et termina avec un air un peu ironique en toisant l'avocat, et se rassit, un sourire au coin des lèvres.

 

L'avocat, un jeune homme un peu rougeaud, se leva lentement.

<< Madame la Présidente, messieurs les Assesseurs, Mesdames et Messieurs les Jurés.

Ma plaidoirie sera brève, tellement les faits parlent d'eux-mêmes, les faits, rien que les faits, et aussi les rapports de police, d'expertise et les témoignages, tous concordants.

Je vous ferais remarquer d'emblée que Monsieur le procureur de la république fait litière de la présomption d'innocence, qualifiant en permanence mon client, simple mis en examen, "d'accusé", de "tueur", anticipant votre verdict. Il vous demande même les circonstances atténuantes, croyant ainsi rendre service à celui-ci, qu'il pense défendu par un avocat incompétent (certes je suis à peine diplômé et ceci est mon premier procès criminel, ayant été de surcroît commis d'office)! Mais il anticipe encore votre décision, le déclarant de ce fait coupable! (Il s'arrêta un court instant, laissant planer le silence). Alors que je n'ai jamais eu l'intention de vous demander les circonstances atténuantes! >>

Ici un frisson parcouru l'assemblée, public, jury, juges. Les regards étaient incrédules. Tous se regardaient.  Quelle était la tactique de cet avocat qui défendait aussi mal son client!

<< Maître, interrompit le président, êtes-vous certain de pouvoir défendre correctement votre client? Vous êtes commis d'office et votre attitude jusque là m'inquiète. Je ne voudrais pas que ce procès soit cassé pour vice de forme comme non équitable>>.

Puis, se tournant vers l'accusé:

<<Savez-vous que vous pouvez demander le changement de défenseur pendant le procès si vous estimez être mal défendu?>>

 

L'avocat continua sans se démonter:

<<Je ne demanderai pas les circonstances atténuantes... car mon client est innocent de l'accusation de meurtre, et c'est lui la victime... de son bon cœur!>>

Cette fois-ci un grondement sourd s'enfla dans la salle.

<<Tout est clair, le procureur l'a dit, et  je l'approuve:

Mon client est un jeune homme peu gâté par la vie, l'expert psychiatre l'a déclaré: il est à la limite de l'arriération mentale, même disons-le débile léger. Il a un petit métier qui lui permet tout juste de vivre, mais lui interdit toute distraction telles que les voyages, aller sur les hippodromes et jouer aux courses, sortir avec des amis, acheter une voiture!

Et que peut espérer un jeune homme comme lui, à l'allure simplette (on l'appelle Riquet à la houppe à cause de cette mèche rebelle qu'il ne peut dompter), des femmes? Le grand amour? Jouer les séducteurs?

Non! Alors il se contente de profiter du spectacle de la rue, il erre dans les rues et ruelles du quartier de Pigalle et de la Place Blanche. Il regarde le ballet incessant et pittoresque des touristes, des policiers, des proxénètes, des prostituées. Il leur parle, il les connaît tous et toutes. De temps à autre, en début de mois, il a assez d'argent pour "monter" avec l'une d'elle et s'offrir ainsi l'illusion d'être aimé. En fin de mois, il doit se contenter de parler avec elles, car les proxénètes, eux, veillent au grain et il n'est pas question qu'elles le reçoivent gratuitement.

Alors ce trente novembre, il se promène sans but dans la rue Pigalle. Il entend des cris venant d'une ruelle. Il reconnaît même la voix: celle de Gisèle Halifax. N'écoutant que son bon cœur, il se précipite dans la ruelle. Il aperçoit une forme à terre. Il se penche: c'est Gisèle. Elle le reconnaît. Il aperçoit un poignard planté dans sa poitrine. Stupidement, je le reconnais, mais  il n'est pas médecin ni secouriste, au lieu de ne rien toucher, il se laisse aller à son instinct et retire le couteau. Mais n'aurions-nous pas fait de même peut-être, messieurs les jurés, mesdames et messieurs les magistrats?

A ce moment il se retourne vers l'entrée de la ruelle, il voit les touristes, puis les policiers qui arrivent en courant!

Que se passe-t-il dans sa tête, sa tête de jeune homme un peu simplet, mais qui sait qu'on va l'accuser! Il connaît les policiers certes, mais il a peur comme nous tous, plus que nous tous, de la police. Instinctivement il s'enfuit. Je dirais encore "bêtement", car sachant qu'il est connu de policiers, il sait qu'il sera arrêté!

Quand le premier policier arrive au niveau de Gisèle Halifax, celle-ci ne peut que donner le nom du dernier homme qu’elle a vu se pencher sur elle: "Riquet", et n'aura pas le temps de préciser s'il est l'agresseur ou celui qui lui portait secours!

Et, comme elle expirait dans un souffle, le policier pourrait-il dire s'il s'agissait d'une intonation d'accusation, ou de reconnaissance envers ce jeune homme qu'elle connaissait, dont elle appréciait la gentillesse et qui tenta de la sauver? >>

A ce moment, tous les yeux se tournèrent vers le policier en cause qui, surpris, ne put que lever les épaules, l'air interrogatif et vaguement benêt.

<<Et certes l'accusé a pu se sauver facilement par les dédales de ce terrain vague qu'il connaissait. Il jette alors dans cette même logique d'affolement (je dirais plutôt "illogique" si le terme existait) le couteau dans un trou boueux. Il n'est pas alors étonnant que le couteau porte les empreintes de mon client, puisqu'il l'avait tenu, et pas d'autres car ses propres empreintes ont recouvert les celles de celui qui l'avait tenu avant lui!  De plus ces marques ont pu être délavées par l'eau boueuse, voire même effacées par un essuyage sommaire réalisé par le policier qui a ramassé le poignard! D'ailleurs,  voici le procès-verbal  de ce policier écrit juste après le drame, je ne le lirai pas, je me contente de le regarder et je le trouve bien propre: pas de trace d'eau ou de boue séchée: le policier a dû s'essuyer les mains avant d'écrire, et donc aussi le couteau!>>

Tous les regards se tournèrent vers le deuxième policier, dont le visage prit une allure aussi stupide que le premier. Le procureur commençait à se demander s'il n'avait pas pris un peu trop vite ce jeune avocat pour un demeuré.

Sans laisser tomber la pression, celui-ci continua:

<<La suite est prévisible: que pouvait faire ce jeune homme que rentrer dans son petit studio, se laisser cueillir, et, se rendant compte que jamais personne ne croirait un instant à  son innocence, que nier, nier, nier une fausse évidence et se murer dans le silence?

Un homme intelligent et calculateur pourrait avoir une autre attitude, mais, le procureur vous l'a dit, c'est un jeune homme bourré de complexé, timide, quasiment débile! Croyez le Procureur Messieurs les jurés!>>

Cette dernière injonction, où l'avocat demandait au jury de croire le procureur fut la manœuvre décisive, après la première affirmation que ne seraient pas demandées les circonstances atténuantes! Le procureur resta coi, comme un taureau foudroyé par la dernière estocade du torero.

 

Un silence de tombe régnait dans la salle. L'antienne était finie, la messe était dite. Le jury se retira mais délibéra peu. Le verdict fut sans surprise.

 

 

 

 

 

 

 

Ifigenia

 

Le chœur: "Oh regardez  l'armée des Achéens qui stagne depuis deux ans

sur les rivages de Grèce attendant

que les voiles des navires sous la brise frémissent !

Hier fiers et déterminés, unis comme jamais ils ne le furent, les guerriers hellènes      

s'alanguissent

et déjà leurs querelles resurgissent

Les dieux courroucés leur refusent le vent.

Troie peut dormir tranquille, Hélène

dans les bras de Morphée et ceux de son amant

cette nuit encore leurs souffles mêleront.

D'un tel crime à jamais ne châtira-t-on 

pas le responsable?

Peut-on à son royal époux

 enlever son épouse

 sans qu'un juste châtiment

 n'atteigne le coupable?

 

Regardez, regardez, Agamemnon,

le grand roi, si fier, se morfond,

et sa fille, la belle Iphigénie, n'arrive à le détendre.

Hector, Ulysse, Achille, n'en peuvent plus d'attendre

 pour un combat

 qui ne vient pas.

L'armée grecque se disperse

les mirmidons, les hoplites prennent des mœurs de Perses!

Que faut-il faire pour ramener le vent?"

 

 

Le grand prêtre: "Guerriers, généraux, rois, accourez !

cette nuit les dieux m'ont visité pendant que vous dormiez.

 Je sais ce qu'ils espèrent!"

Les Grecs: "vite dis-le nous, ne garde pas pour toi ce qu'ils t'ont révélé!

-c'est si terrible que je n'ose, non je n'ose guère!

-parle, n'en fais pas mystère!

-je crains de porter dans vos rangs un message indicible!

-parlera-tu enfin, vieil imbécile,

rugit l'impétueux Achille,

 faudra-t-il que de mon glaive je te transperce?

-si tu l'empales sur ton arme, comment voudras-tu connaître son secret?

remarque finement  Ulysse le rusé;

-s'il se doit se taire, que ce soit pour toujours"! et il leva sa main.

-bien, je parlerai forcé, les dieux m'en soient témoin,

Voilà : ils exigent un sacrifice!

-de quoi? d'un agneau? de veaux gras? de génisses?

-non, plus coûteux encore!

-mille bœufs fleuris? mille vases d'or?

-non, une ...

-une?

- vierge"

L 'hilarité secoue la foule guerrière:

"mais cela est facile à trouver! allons dans la campagne,

 ravissons quelques paysannes,

et à nos dieux offrons dix, cent vierges!

-non, ce que veulent les dieux, c'est une vierge d'ici, d'au milieu de nous, et...

-nous en avons quelques-unes, accompagnant leurs mères cantinières!

-et ... de royaux aïeux!

 

Un silence se fait, lourd de menaces, tous, la gorge nouée,

en premier Achille

vers Agamemnon se tournent:

seul ce roi a eu l'imprudence de se faire accompagner de sa fille!

Iphigénie est ainsi nommément désignée par les dieux.

 

La voix du roi se fait entendre: "Ce vieux fou ratiocine! Il y a des lustres que les Grecs ne          sacrifient plus d'êtres humains à leurs divinités! Aussi loin que ma mémoire me porte,            je ne me souviens de telles horreurs. Nous, Hellènes, épris de rhétorique,

d'éthique,

d'esthétique,

au sein des barbares qui nous entourent,

reviendrions à de telles pratiques!

Chassez cet imposteur à la cervelle folle,

où c'est lui que j'immole!"

Mais les guerriers retiennent son bras et l'empêchent de frapper.

"Agamemnon, réfléchis: l'injure faite aux Grecs par Troie est trop grave, cela mérite   vengeance,

et pour cela les dieux nous imposent un prix fort

pour juger d’intérieur notre for.

-jamais je ne cèderai ma fille au poignard sacrificiel de ce dément vicieux.

Une vierge, une vierge, voilà tout ce qu'il sait répéter,

Condamné au célibat

depuis ses plus jeunes années de par son état,

Comme ceux de son engeance

Il veut, de la gent féminine, par un sacrifice unique et inique étancher sa haine!

-Dois-je te rappeler que je n'ai parlé, ô roi,

que contraint et forcé!

je pressentais quelles conséquences malheureuses pour les Grecs assemblés ici et pour toi

cet oracle allait entraîner.

J'ai voulu me taire mais Achille m'a  menacé!

-alors qu'Achille envoie quérir une de ses sœurs!

-les dieux ont dit: ici, de suite, une fille tirée d'au milieu de nous! répliquèrent les Hellènes!

-alors qu'Achille meure!"

et Agamemnon de tirer son épée.

 

Immédiatement les guerriers Atrides dégainent

et se préparent en troupe.

Aussitôt les mirmidons font de même

et derrière leurs chefs se regroupent.

 

 

"Arrêtez, rentrez vos lames au fourreau" s'interpose Ulysse!

"Prêtre, quel délai ont laissé les dieux à leur exigence?

-ma foi je ne le sais, mais extrême n'est pas l'urgence,

 il me faut préparer la cérémonie, le rituel est sorti des mémoires,

je dois consulter les antiques grimoires;

que tout froissés je les déplisse

-alors que ne laissons-nous une nuit s'intercaler,

pour à chacun laisser le temps de méditer.

Toi grand prêtre, réinterroge les dieux, le moment est venu,

toi Agamemnon, consens peut-être au sacrifice et même

prépare-toi à la douleur ultime

 de voir de ta fille transpercer la poitrine.

 

-et moi voir mourir celle que j'aime?!"

 

Un jeune hoplite vient ainsi de s'exclamer,

et de jaillir tirant lui aussi sa lame.

"Quand Iphigénie m'est apparue la première fois,

ce n'est pas une flèche de Cupidon qui  transfixia mon cœur,

mais une lance envoyée par Vénus

à la vision d'une sublime femme!

et causa mon émoi,

Agamemnon, ô grand roi,

tu a deviné à la pâleur de perle

de mon teint quand ta fille me fixait,

 la rougeur de mes joues

quand elle me parle,

que je l'aimais,

et tu ne semblais pas y montrer quelque courroux!

et tu n'as pas plus réagi quand tu as saisi que ta fille répondait à ma flamme!

-certes, mais hélas aujourd'hui, ce n'est plus un jeune guerrier

qui exige que je donne ma fille aimée,

et ce n'est plus d'un roi dont tu dois te méfier

mais de toute une armée!

et encore plus d'Achille!

-eh bien luttons

et ensemble mourrons!

-à quoi pourraient bien servir vos sacrifices? 

intervint encore Ulysse,

si Iphigénie doit de toute façon mourir sous le couteau!

 

-taisez-vous! rentrez vos armes au fourreau!"

 

Le chœur: "qui vient de parler? A qui appartient cette voix juvénile?

Quelle est cette adolescente à peine nubile

ce parangon de jouvence,

belle entre les belles, le teint diaphane, le sourcil noir, l'œil hiératique,

Mais c'est Iphigénie elle-même qui s'avance."

 

-"Grand prêtre, n'est-il pas dit dans tes rituels antiques

que la victime doit consentir au sacrifice?

- princesse oui, le drame doit se passer dans le calme et le recueillement,

 et pour cela certes il     faut obtenir à ce qu'elle consentisse

-alors je consens!

Je ne veux plus voir les Achéens

disputer et se battre. Si du sang

doit couler, que ce soit le mien!

En acceptant la mort, je lave mon père du péché d'avoir livré sa fille au couteau du bourreau.

-Iphigénie, reviens sur tes paroles, ce vieillard illuminé t'a pervertit l'entendement,

 je vais à l'instant son sang répandre sur la glèbe! "

s'écrie l'éphèbe!

Et tous de reprendre leurs épées, qui pour

la pointer vers le jeune prince, qui pour

le défendre!

"Ne pourrait-on pas une nouvelle fois m'entendre?

Encore une fois ne pouvez-vous attendre?

Écoutez le grand prêtre, les dieux ne sont pas à l'instant pressés,

laissons la nuit passer,

des étoiles la contemplation

peut-être donnera la solution!"

 

Le chœur: "A ces mots d'Ulysse tous se calment. Baissant la tête, tous partent se retirer sous leurs tentes.

Ô nuit, qu'il est profond ton silence!

Les Grecs vont-ils s'entretuer?

Agamemnon accepter?

les guerriers refuser que l'on verse

ce sang  et repartir dans leurs foyers?

Il est difficile d'extirper du cœur le plus dur la moindre trace de pitié.

 Faut-il supprimer une vie innocente,

non pour laver l'affront fait à l'un d'entre eux, mais pour se lancer

                à l'assaut des richesses d'une ville prospère,

tous le savent et ce soir osent l'avouer.

 

Et là sous ce dais, Agamemnon le père

et Ulysse conversent,

et dans un repli, abattu, le jeune les écoute, la gorge nouée."

 

"-Ulysse, ami d'enfance,

apporte-moi encore l'aide de ton esprit que certains disent retors,

 mais toi qui toujours des dilemmes

te sors!

-en effet tout problème

a une solution, et celui qui ne veut pas la trouver

trouve une excuse!

-mais aujourd'hui, les dieux ont parlé,

et pourtant je ne peux ni  leur désobéir

ni me résoudre à voir ma fille mourir!

-et si je m'enfuyais avec Iphigénie? jusqu'à Syracuse!

l'interrompt l'éphèbe? vous n'y seriez pour rien!

C'est sur moi que rejaillirait leur ire!

-toutes les issues du camp sont gardées par des hommes ou des chiens,

vous ne pourriez aller bien loin, le détrompe Ulysse!

-et ma fille consent au sacrifice!"

 

Le chœur: "Le front

du roi d'Ithaque se fronce,

des rides le plissent,

il réfléchit, se plonge dans une profonde méditation

 

Mais que se passe-t-il,

il se déride, mieux, il ébauche un sourire!

à son ami et au jeune homme que dit-il?"

 

"-Agamemnon, le prêtre l'a bien dit: pour conclure leur pacte

les dieux veulent le don d'une jeune fille intacte!

et toi, jeune fougueux, vois-tu ce que cette exigence implique,

et qu'elle te donne un moyen d'infléchir un destin inique?

Empare-toi d'Iphigénie, et fuyez avant l'aube,

mais pas trop loin, restez dans l'environnement.

-mais Iphigénie reviendra-t-elle sur son acceptation?

-depuis des milliers d'années, les jeunes amants

trouvent le moyen d'amener leurs amoureuses à consentir à leurs désirs

bravant les interdits et les serments,

ne sois pas plus sot qu'un autre, et trouve dans ta fougue, ta beauté, ta jeunesse, les moyens de        la séduire!"

 

...........................................

 

Au matin l'armée s'avance. A sa  tête le grand prêtre, ses acolytes en procession, les rois et les              princes, les généraux et les guerriers.

Mais la tente d'Iphigénie est vide! On s'exclame, on s'interpelle! tous de courir dans tous les sens! Qu'on les retrouve! Ulysse et Agamemnon ne sont pas les derniers à s'agiter.

Et on les retrouve en effet, endormis sous un olivier, enlacés.

 Et l'expression d'angélique contentement de leurs visages ne laisse aucun doute sur ce qui    s'est passé.

Dépité, le grand prêtre peut laisser choir 

son couteau d'Onyx de sa main:

il n'entrera pas dans l'Histoire

pour avoir ravivé le sacrifice humain.

Les guerriers se regardent, et à leurs mines on ne peut deviner le dépit ou le soulagement.

 

Le chœur: "regardez! regardez! les voiles s'agitent! le vent se lève!

un frémissement fait vibrer les drapeaux!

" Le grand prêtre lui-même contemple son aube

qui ondule! "Le vent se lève!"

Tout aussitôt l'armée se rue vers les bateaux!

Tous s'embarquent, courant sus à de belles batailles, de  beaux exploits, de beaux pillages, oubliant les amants!

 

 

Mais sur la plage, il en reste trois.

Qui, sans cesse gesticulant,

tient le grand prêtre au cou, de ses mains l'étranglant?

Mais c'est Agamemnon! Et quel autre guerrier encore s'interpose?"

 

"Vieux fou mystique, si ce jeune hoplite n'avait ma fille raptée,

à cette heure elle serait les paupières closes

la poitrine à ton couteau offerte,

par ton couteau ouverte,

le rubis de son sang juvénile issu de ses lèvres

tacherait tes autels, alors même que le vent se lève!

 

-laisse, laisse, mon frère Agamemnon,

les dieux parlent en vérité, ce vieillard avait raison:

ce sont les hommes qui comprennent mal leurs paroles:

Les dieux, derrière Vénus rangés,

voulaient le sacrifice d'une vierge: ils ont eu leur obole!"

 

Et tous de se ruer sur le rivage

vers le dernier navire qui s'en vogue vers Troie.

 

....................................

 

On raconte, dans quelque vieux palimpseste, que lorsque les jeunes gens se réveillèrent, ils se retrouvèrent seuls dans le camp abandonné.

Un vieillard aveugle passait par là, conduit par un enfant. Ils lui contèrent leur aventure. Paraît-il que le récit lui plut, et il se mit en demeure immédiatement de le traduire en vers, et il s'essaya de suite sur son luth à les chanter. Il était aède tragique, et il en aurait changé un tantinet le cours pour rendre le récit plus pathétique.

 

                                                                                                              Ifigenia

                                                                                              Nouvelle en vers de mirmidons.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :