Théorie de Jésus. Michel Onfray.
Michel Onfray.
Théorie de Jésus. -Biographie d'une idée-. Essai. Bouquins éd. Paris, 2023
Consternant ! Surtout écrit par auteur dont on peut apprécier l'exposé de ses conceptions sur certaines chaînes d'information, et sur la qualité de ses ouvrages, sauf le tout aussi consternant "Traité d'athéologie" (Grasset et Fasquelle, 2005), que j'analyse dans mon ouvrage L'essence du cristianisme p. 80 et suiv.
Michel Onfray a démolli avec plus de verve et de vraisemblance Freud dans Le crépuscule d'une idole. (Grasset).
La quatrième page de couverture expose, avec un ton acrimonieux, le sous-bassement de la thèse, et se réfère en fait à des conceptions archaïques, invraisemblables, auquelles, on l'espère, plus aucun chrétien ne se réfère ! (Cf ci dessous en annexe).
La non-historicité de Jésus a été soutenue, même encore récemment, par de nombreux, et parfois convaincants, auteurs,exégètes et même suggérée ou non réfutée par des théologiens – Karl Barth et Adolf Bultmann entre autres – et exposée de manière claire et objective.
Mais cette non-historicité, y compris réduite à une "mini-historicité ("un gourou" ou un d ces petits agitateurs messianiques sans envergure qui abondaient alors) butte sur trois faits :
1/aucun des premiers ennemis historiques du christianisme ne l'a remise en cause ! Jésus était à abattre, non à nier ! Le Talmud, écrit au IIème voire IIIème siècle, attaque avec ardeur Yeshoua bar Iosef ! ("petit, laid et contrefait", "né du soldat romain Panthera", "il fut pendu à un poteau" – c à d cloué ou attaché; les témoins de Jéhovah reprennent aussi que la croix était un poteau – etc.).
2/on ne se fait pas torturer, lapider, crucifier, on ne part pas dans le monde entier porter la bonne nouvelle, risquant le même sort, pour un mythe ! Un expert athée ayant examiné le Linceul de Turin, s'est exclamé "ils ont dû être confrontés à un fait extraordianaire pour qu'ils se conduisent ainsi après cette "résurrection". D'un autre auteur : "comment une bande de hippies, ayant quitté métier, femmes et enfants, de filles hystériques, ces moutons appeurés lors de la passion, sont-ils devenus en un instant des lions prêts à tout endurer?"
3/un mythe se constriut sur la durée. Or c'est instantanément que le christianisme s'est développé dans tout l'empire romain (certes aidé par l'implantation des synagogues, et il a attendu le Xème siècle pour l'Irlande, le XIème pour la Scandinavie et les pays baltes...).
Micel Onfray a-t-il écrit ces livres (dont le "Traité...), en philosophe, ou en "revanchard" ayant un compte personnel à régler envers l'Église, ou un clerc ?
Outre, suprême mépris, qu'il fasse mine, ou croit, que les chrétiens en sont à adhérer à des dogmes archaïques, il semble qu'il n'ait fait aucun effort pour comprendre ce courant de pensée.
Car il ne comprend rien à rien, ou feint de ne rien comprendre : p.179 il explique au pied de la lettre la parabole sur la femme adultère, la prenant pour une incitation à l'adultère ! il appelle "extravagance" le fait que dans l'au-delà il n'y aura ni femme ni mari ! Il ne comprend pas les exhortations "à haïr" sa famille, le fait "qu'il est venu apporter la guerre non la paix". Il ne comprend rien, n'est pas sensible à l'aspect symbolique des paraboles (p.146 les marchands du temple; p.154 les vignerons assassins etc..), ou il ne cherche qu'à déprécier les chrétiens. Consternant, dis-je.
Mieux, pour base de ce christianisme qu'il abhore, il prend pour base principale L'évangile de l'enfance", ou du peudo-Thomas, évangile rejeté par l'Église comme apocryphes ! Curieux procédé rappellant les procès communistes où l'on utilise des preuves fabriquées.
Cette impression de pamphlet plein de rancoeur est renforcée par l'usage d'une écriture "à la va-vite", au style pauvre, à la syntaxe approximative, aux approximations permanentes : Onfray restreint le christianisme au seul catholicisme, ou les confond (p.58, 70).
Dans son énumération des reliques christiques, il énumère – dans un inventaire qu'il croit à la Prévert – deux fois à deux lignes d'intervale le "pagne" porté sur la croix ; les "vases" de Cana. Il nomme "Jacob" le père nourricier de Jésus (p.53 !); il croit que Salomé est la fille d'Hérode Antipas (elle est sa belle-fille, ce qui explique l'attrait de son beau-père...); il appelle Dieu... Moïse !!! (p.227: le déluge est "l'effacement d'un vieux monde qui ne convenait pas à Moïse" !); dès la p.34, il cite de manière incompréhensible l'aphorisme de la paille et de la poutre. : "laisse-moi ôter une paille de ton oeil, toi qui a une poutre dans le tien" (?).
On se relie chez Michel Onfray ? on demande à un ami de le faire ? et chez Bouquins éditeur ?
Mieux, dans ses arguments pour prouver l'inexistence historique de Jésus, les appoximations ou erreurs factuelles tombent bien à propos : par exemple, parmi les rares témoignages non-chrétiens sur Jésus il cite le fameux passage de Pline le Jeune, qui rapporte des causeurs de troubles se réclamant d'un "nommé Jésus", d'après Onfray. En fait c'est d'un nommé Chrestos que se réclament ces individus. Cela change tout. Quant à Flavius Josephe, tout le monde est d'accord pour juger que la phrase "Vers le même temps vint Jésus, homme sage, si toutefois il faut l'appeler un homme.?" Cela sent bien sûr un rajout ultérieur par un chrétien !
Voici un philosophe de formation, dûment diplômé, qui cependant utilise peu la démarche logique du raisonnement. Il établit dès les premières pages l'argument éculé positiviste ("l'absence de preuves n'est pas la preuve de l'absence") pour en user à son avantage dès la p.37 ("il existe bien plus de preuves de l'inexistence historique de Jésus que de preuves de son existence").
Il dévie de la soutenance de sa thèse (Jésus a-t-il existé ?) en une critique de l'aspect ridicule, incohérent, archaïqiue des croyances chrétiennes, et des attitudes, dont le culte des reliques. En quoi le nombre élevé des prépuces du petit Jésus, de Graal, de plumes de l'ange d'annonciation, nient-ils l'existence de Jésus. Quant au Suaire de Turin (un linceul en fait), son argumentaire montre à l'évidence qu'il n'a en rien étudié le problème !
En conclusion, j'attendais mieux que cette diatribe de mauvaise foi, pleine d'alacrité, mal argumentée, mal rédigée, d'un personnage comme Michel Onfray.
Conseil de lecture et lectorat : tout "honnête homme"interressé par la vie religieuse, historique, spirituelle, mais averti de la mauvaise qualité de la rédaction.
Mais faut-il rejeter ce livre ? le vouer aux gémonies si on est païen, le brûler dans la Géhenne si on est judéo-chrétien ?
Eh bien, paradoxalement, non !!!
Car il contient tout un argumentaire, cette fois-ci détaillé, précis, abondant, et logique, montrant que le message de Jésus rompt avec la Thora, voire la contre de manière frontale ! Le refus de localiser Dieu dans le Temple et des sacrifices sanglants –voilà pour les saducéens –; le célibat contre l'obligation de se reproduire; le sabat facultatif –voilà pour les pharisiens – relativisme des ablutions et des règles strictes de pureté –voilà pour les esséniens – relativisme de la circoncision charnelle pour une circoncision de l'esprit –voilà pour tous ! –
Cette expositin des fait, je ne l'ai encore pas rencontré dans mes nombreuses lectures et écoutes de sermons depuis 50 années!
Michel Onfray nous fait, enfin, comprendre la manière horrifiée dont les juifs, pharisiens, saducéens confondus, l'ont entendu, ce qui explique leur rage à le détruire, lui et ses disciples !
Alors, décidez en votre âme et conscience !
PS : Michel Onfray effleure page 238 en deux lignes un important sujet : l'origine rabbinique de l'Islam. Mais il esquive vite par une pirouette, on n'est jamais trop prudent avec l'islam, je l'avais fait remarquer pour son Traité d'athéologie.
Mais peut-être sera-ce le sujet de son prochain ouvrage ?