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Publié par René Mettey

 

L'ESSENCE DU JUDAÏSME

 

         Le judaïsme étant le terreau dans lequel est né et a forci le christianisme, il est judicieux d'en explorer l'essence, comme l'étude du sol et de la graine permet de justifier l'arbre et ses fruits.

 

La doxa officielle.

  1. Abraham (en fait Abram) quitte la Chaldée après avoir entendu la voix d'un dieu nouveau, qui  révèle être le seul Dieu, et l'enjoint d'aller s'établir en pays de Canaan. Sur place il devient le patriarche d'une vaste population qui va, a l'issue de péripéties, se retrouver captive en Égypte, même si plusieurs de ses membres occuperont des places éminentes au gouvernement.
  2. Ils deviennent les Hébreux.
  3. De là, Moïse, ayant contemplé et entendu le Dieu unique sur le Sinaï, va extraire ce peuple de l'esclavage, après quelques affrontements avec le plus illustre des pharaons, Ramsès II.
  4. Moïse franchit la Mer Rouge emmenant son peuple, mais erre avec lui quarante années dans le Sinaï et meurt en vue de la terre promise.
  5. Celle-ci sera conquise par Josué et ses successeurs et le peuple élu recevra  la terre d'Israël où il s'établira. Les Hébreux deviennent les Israélites.
  6. Ce Dieu unique se verra élever une demeure[1] par Salomon sur le mont Sion.
  7. Les différentes tribus, unies seulement par un culte commun, ne tardent pas d'ailleurs à se séparer en un royaume de Judée et un d'Israël, voire à se livrer à des guerres impitoyables (Cf. l'égorgement des partisans d'Éphraïm, ceux qui ne savaient prononcer correctement "schibboleth", au  franchissement du Jourdain).
  8. Mais Nabuchodonosor survient et déporte une grande partie des Israélites à Babylone. Là, confrontés à la disparition de leur ethnie  – c. à d. un peuple homogène avec ses croyances, sa langue et sa culture – qui va se dissoudre dans la population générale par métissage et retourner au polythéisme, les grands prêtres rédigent le corpus de leur croyance : le judaïsme est né et les Israélites deviennent des Juifs !

                                               Fin de l'Histoire !

 

         Fin conçue comme fixation, car la suite n'est que péripéties qui ne changent rien au contenu spirituel : rétablissement des Juifs en Israël par Cirrhus, construction d'un second temple, début d'une diaspora massive avec répartition dans tout le bassin méditerranéen[2]; individualisation de courants théologiques (saducéen, essénien, pharisien) dont seul le pharisien survivra dans le judaïsme rabbinique après la seconde destruction du temple et l'expulsion des Juifs de Jérusalem par les Romains.

 

         NB : cet exposé synthétique semblera caricatural à quelques Juifs, érudits ou pas. Mais il est admis au mot près par de nombreux croyants avec qui j'ai pu abondement converser en France et en Israël.

 

 

Les faits.

         Reprenons et examinons point par point les paragraphes précédents à la lumière des découvertes archéologiques, tant des vestiges matériels –ou absence de vestiges– que des études scripturaires[3] :

  1. Abraham (en fait Abram) quitte la Chaldée après avoir entendu la voix d'un dieu nouveau, qui  révèle être le seul Dieu, et l'enjoint d'aller s'établir en pays de Canaan. Sur place il devient le patriarche d'une vaste population qui va, a l'issue de péripéties, se retrouver captive en Égypte, même si plusieurs de ses membres occuperont des places éminentes au gouvernement.

Le nom d'Abram, devenu Abraham, n'est retrouvé dans aucune inscription de monuments, ni tablettes cunéiformes, ni papyrus. Aucune allusion à ce nom ou au départ d'une petite communauté de Chaldée vers Canaan. Certes les écrits les plus anciens de la Bible sont le reflet, voire la quasi transcription,  tel  le récit du déluge tiré de la légende de Gilgamesh, de légendes et mythes du Moyen-Orient, babyloniens, assyriens, mésopotamiens. Des auteurs estiment qu'Abraham n'a peut-être pas existé, ou ne serait qu'un personnage historique simplement crédité de ces récits mythiques. D'autres même estiment que les récits d'origine mésopotamienne n'ont été intégrés  que lors de la déportation par Nabuchodonosor.

 

  1. Ils deviennent les Hébreux.

On ne sait d'où viennent les Hébreux ni qui ils sont. Sur une stèle d'Égypte est nommée la tribu des Ébroua, ou Hébroua. De plus une garnison dans l'île Éléphantine, sur le Nil, gardant la frontière pour le compte de l'Égypte, était composée d'Ébrouas… Ils avaient écrit aux grands prêtres de Jérusalem pour pouvoir édifier un temple à Yahvé (et sa parèdre Ashéra[4], et à Adonaï, El Shadaï etc… montrant que le vrai monothéisme était encore loin…). Nul ne peut dire s'ils étaient des sémites ou des égyptiens convertis.

 

Les futurs Israélites, et de nombreux auteurs sont d'accord, sont  d'origine cananéenne… De nombreuses tribus s'orientaient déjà vers une monolâtrie, dont certaines avaient choisi Yahvé, un des fils d'El, le grand dieu sémite, comme dieu tutélaire. Melchisédech, que rencontre Abraham,  était "roi et prêtre du Très-Haut", et les textes de la Genèse mettent en évidence qu'ils font référence tous deux au même Dieu.

  1. De là, Moïse, ayant contemplé et entendu le Dieu unique sur le Sinaï, va extraire ce peuple de l'esclavage, après quelques affrontements avec le plus illustre des pharaons, Ramsès II.

Le personnage de Moïse est atypique. Bien sûr les récits d'avoir été mis à l'eau, adopté par la fille de Pharaon etc. sont mythiques, mais même le nom n'est pas de consonance hébraïque, d'après les experts. Freud lui-même a soutenu que Moïse n'était pas juif. De plus, dans une civilisation où le moindre fait civil ou guérier était inscrit, nulle part on ne trouve mention des plaies d'Égypte ni de la fuite des Hébreux, encore moins de la noyade des troupes lancées à leur poursuite.

  1. Moïse franchit la Mer Rouge emmenant son peuple, mais erre avec lui quarante années dans le Sinaï et meurt en vue de la terre promise.

Le Sinaï n'est pas très étendu. Pour y errer quarante années, il faut y mettre de la bonne volonté. Les archéologues relèvent qu'on n'y a retrouvé pas le moindre tesson de poterie, pas la moindre inscription lapidaire, pas la moindre tombe, or "une génération est passée"…

  1. Celle-ci sera conquise par Josué et ses successeurs et le peuple élu recevra  la terre d'Israël où il s'établira. Les Hébreux deviennent les Israélites.

Les contributeurs contemporains jugent que les Israélites sont des tribus cananéennes qui se sont réunies dans leur culte commun, et que les nombreuses batailles décrites dans la Bible sont le souvenir mythifié des perpétuelles escarmouches entre elles  et contre les autres peuples, dont les Philistins, venus de la mer. Jéricho, lorsqu'elle a été "prise d'assaut", était inhabitée depuis des lustres…

  1. Ce Dieu unique se verra élever une demeure par Salomon sur le mont Sion.

Certes un temple a été élevé au Dieu unique, ce qui n'empêchera pas Salomon de laisser ses concubines élever des autels à d'autres divinités, et participer au besoin à leurs cultes à leurs côtés... des prophètes maudiront des rois juifs qui "continuent à passer leurs fils par le feu", poursuivant la barbarie du culte de Moloch… Le monothéisme n'est pas encore bien institué et compris. Simone Weil a d'ailleurs bien montré dans ses écrits que ce Dieu universel gardait, même de nos jours, un aspect de Dieu tribal (sic)[5]. Même l'emplacement de ce temple est contesté par les archéologues contemporains, sans évoquer le Mont Garizim que les Samaritains, descendant des populations restées sur place après le rapt de Nabuchodonosor, jugent plus sait que le mont Sion…

  1. Les différentes tribus, unies seulement par un culte commun, ne tardent pas d'ailleurs à se séparer en un royaume de Judée et un d'Israël, voire à se livrer à des guerres impitoyables (Cf. l'égorgement des partisans d'Éphraïm, ceux qui ne savaient prononcer correctement "schibboleth", au  franchissement du Jourdain[6]).

Cette scission mythique est bien l'illustration de la faible unité des tribus d'Israël.

  1. Mais Nabuchodonosor survient et déporte une grande partie des Israélites à Babylone. Là, confrontés à la disparition de leur ethnie  – c. à d. un peuple homogène avec ses croyances, sa langue et sa culture – qui va se dissoudre dans la population générale par métissage et retourner au polythéisme, les grands prêtres rédigent le corpus de leur croyance : le judaïsme est né et les Israélites deviennent des Juifs !
  2. Et voici, en dernier, le seul fait incontestable : le judaïsme est né à Babylone, ou, du moins, son corpus  y a été fixé.

 

         Eh bien faut-il alors rejeter comme fable toute la Bible hébraïque, comme superstition et crédulité tout ce qu'elle contient ? Faut-il ne garder que les rares rapports écrits et découvertes archéologiques incontestables, et jeter le reste ? et jeter l'apport spirituel du judaïsme – et par là du christianisme –? En somme, jeter le bébé avec l'eau du bain, que cette eau vienne du Nil ou plus tard du Jourdain ?

 

         À l'évidence la réponse est NON !

         Il suffit de considérer l'essence du judaïsme :

         Des peuples du Proche-Orient ont ressenti l'appel d'un Dieu  à respecter ses parents, à ne pas convoiter la femme d'autrui et tout ce qui lui appartient, au respect de la vie, au respect de l'autre, de sa solitude quand il est en pays étranger. Mais ces populations, cananéennes certainement, l'ont ressenti plus et mieux que les autres peuples. Elles ont entrevu cette unicité de l'essence de ce monde, de la vanité des représentations matérielles de cette entité. En cela, en le ressentant le mieux, "ils ont été élus" et chargés de porter ce message au monde entier. Oui, les Juifs sont le peuple élu, car ils se sont conduits comme le peuple élu.

         De cette pulsion à régler le droit entre les rapports des hommes, Hammourabi a fait graver un code. Mais les Hébreux ont écrit  ce droit universel dans le décalogue pour l'éternité : une stèle est lue en passant, elle s'effrite ou est abattue par un vainqueur, un écrit est recopié à l'infini. Il est impossible d'en détruire tous les exemplaires ! Il est lu dans l'intérieur du foyer et appris par cœur, et sera transmis sans support matériel.

         De cet appel à l'unicité, les Hindous ont commencé le chemin vers le monothéisme et la vanité des idoles : la réalité suprême, le Brahman, est "l'incréé". Devant la chaîne de l'Himalaya, une prière hindouiste récite : "mon Dieu, je commets ici trois péchés : tu es sans forme mais c'est sous cette forme je t'adore; tu es partout mais c'est ici que je t'adore; tu ne dois pas être adoré mais je t'adore cependant". Mais l'Hindouisme en est resté à la multiplicité des représentations de Dieu.

         Cet appel, les Hébreux l'ont solennisé dès les premières lignes du décalogue : "Écoute Israël, je suis ton Dieu, l'unique, et tu ne feras pas d'images taillées pour te prosterner devant elles". De cette unicité, cette transcendance, ils en ont fait une représentation : le vide du Saint des Saints; de ce nom ineffable, une absence de dénomination, devenant présence du principe  essentiel, de l'essence : "Je suis celui qui suis".

         Alors, qu'importe où, comment  et quand les Hébreux, puis Israélites et enfin Juifs, ont rédigé ces textes ? De ces textes, une partie vient d'Égypte  – le psaume 104 est le "copié-collé" de l'hymne au soleil d'Akhenaton –, une grande part vient de Babylone, recueillie dès l'époque d'Abraham ou plus tard  lors de l'exil[7], une autre part d'autres traditions et pourquoi pas de l'inspiration des Israélites eux-mêmes ! Qu'importe que Moïse soit un prêtre égyptien ou instruit par des prêtres du culte du premier dieu unique, Aton, et qui a emporté avec lui l'idée du monothéisme. Qu'importe ce qu'il a vécu sur le Mont Sinaï : réelle apparition lumineuse et sonore, ou grande crise mystique ? Remet-on en cause la crise mystique de Pascal ? « Feu ! Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob. Joie, joie, joie, pleurs de joie ». Soutient-on que Pascal, ou un élève, a  rédigé ce texte tranquillement dans son bureau dans un but propagandiste ? que le feu du buisson ardent et celui de Pascal est une métaphore ?

         Qu'importe que les Hébrouas soient partis d'Égypte en masse, après quelques combats avec les soldats de Pharaon, combats pas assez importants pour qu'on les rapporte, ou défaite trop cuisante pour qu'on la rapporte aussi !, ou par petits groupe d'émigrants, sur un long laps de temps (quarante années ?), et en traversant la mer Rouge ou celle des roseaux, puisqu'ils ont emporté l'idée d'un dieu unique.

         Je me suis recueilli à Hébron sur le tombeau des patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, et de leurs épouses[8], mon fils David est allé faire allégeance sur la tombe du roi David (Fig. 3).Qu'importe que les Patriarches y soient ou pas, n'aient pas même existé, que le roi David soit inhumé ailleurs : nous sommes allés en un lieu où des millions d'êtres humains sont allés avec ferveur ou recueillement, ces lieux "où souffle l'esprit", imprégnés ainsi  d'une charge émotionnelle et spirituelle incommensurable. Nous nous sommes chargés d'une partie de cet esprit. Le reste n'est que littérature d'experts[9].

 

 

 

[1] Car le temple, dans l'antiquité, est la demeure du dieu. Les catholiques en ont gardé l'usage, l'hostie consacrée étant contenue dans un tabernacle et l'objet d'un culte, comme dans le temple de Salomon. Les protestants a contrario se réunissent dans une église (ils s'assemblent : ecclesia) pour un hommage et entendre la parole, donc le message (messe : message). Curieusement, en somme, les catholiques vont au temple rendre un culte, les protestants à l'église entendre une messe ! En somme aussi, les catholiques ont leurs cohanim (prêtres) et lévites (diacres et assistants) alors que les protestants ont leurs rabbins (lettrés leur commentant les écritures) !

[2] Trois cents ans avant Jésus Christ la Bible hébraïque est traduite en grec par "soixante-douze sages", la "Bible des Septantes" pour l'importante communauté d'Alexandrie, qui ne comprenait plus l'hébreu, preuve qu'elle y était établie depuis longtemps. Simon de Cyrène que l'on obligea à porter la croix de Jésus était un juif venant au pèlerinage de Pessah, depuis la  Cyrénaïque (aujourd'hui Lybie).

[3] Largement inspiré de l'œuvre de Finkelstein et Silberman, cf. bibliographie.

[4] La forme féminine d'un dieu masculin.

[5] « Israël […] toujours retombait, et ne pouvait pas ne pas retomber, au Dieu de tribu. » La pesanteur et la grâce. Chapitre "Israël".

[6] Ce récit est si inspirant qu'il a été repris au XVIIIe siècle dans un rite maçonnique, et… toujours évoqué de nos jours.

[7] Il existe une école actuelle qui plaide pour une rédaction tardive de la Bible.

[8] Rachel, morte sur la route de Jérusalem, ne se trouve pas à Hébron, mais un peu plus loin. Nous sommes allés aussi rendre hommage à l'ancêtre des Juifs.

[9] Et de pilpoul.

Mon fils David, celte chrétien, vient faire allégeance sur la tombe de David, le sémite israélite. Le christianisme a sublimé la filiation biologique en filiation spirituelle.

Mon fils David, celte chrétien, vient faire allégeance sur la tombe de David, le sémite israélite. Le christianisme a sublimé la filiation biologique en filiation spirituelle.

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